Oyonale - Créations 3D et expériences graphiques
PosterLe livre des commencementsLes créatures de nulle partInformation sur l'imageImage 1600x640 L'appel de la nature L'appel de la nature (détail) L'appel de la nature (détail) L'appel de la nature (détail)

L'appel de la nature
L'appel de la nature


C'est une mignonne petite lapine, mais j'aimerais savoir, d'où je me trouve, combien de fois elle a déjà mis bas. Mais aucune reproductrice ne vous dira jamais ça. Et comment voulez vous optimiser le système si les données de base vous sont cachées à cause d'une modestie mal placée ? Nous sommes de moins en moins nombreux, nous attrapons des maladies, nous perdons nos petits par portées entières, nous devons disputer nos terriers à des rats belliqueux. Cela doit finir, et j'ai la solution. Mais qui écoute un lapin solitaire ?

C'est le lapin blanc qui m'a donné l'idée. Blanc est une façon de parler, car il était surtout sale quand il a déboulé dans notre garenne. Il avait perdu du gras, et sa peau pendait sur son cou et son ventre. Il m'a raconté qu'il avait fui la ferme où il était embauché comme étalon. Un vrai fantasme de mâle, ça, avec des femelles à foison, apportées dans sa cage tous les jours, sauf le dimanche et les jours fériés. Et il devait répéter l'acte jusqu'à ce que sa partenaire de l'heure tombe enceinte. Il avait le gîte, le couvert, et la sécu gratuits. Le but, lui avait-on dit, était de créer une race supérieure de lapins, résistants aux maladies, à croissance rapide, aux muscles solides. Pour cela, ses maîtres avaient fait de la reproduction un art, où tout était soigneusement enregistré, planifié, organisé. Le hasard et l'instinct n'y tenaient aucune place. S'il était parti, c'était à cause des rumeurs concernant les mâles plus âgés, dont on disait le remplacement proche. Comme personne ne savait ce que devenaient les partants, il avait pris peur. Depuis, il était sans domicile, vivant au bord des nationales, incapable de quitter pour de bon la civilisation. Lapin errant, il resta quelques jours dans la garenne, puis reprit la route.

Le problème de la disparition des mâles mis à part, le système était séduisant. Il y avait donc des endroits où nous nous reproduisions de façon contrôlée. Des super-lapins ! Pas étonnant que nous soyons dominés en nombre par nos cousins en cage. Les lapins sauvages devaient en tirer la leçon. Il nous fallait changer nos habitudes, utiliser la science. Et la première étape était de collecter les données. Qui avait engrossé qui ? Combien de fois un reproducteur s'y était-il pris pour obtenir une portée ? Quel était la taille de cette dernière ? Combien en avait-il produit dans sa vie ? Et ainsi de suite. Ce sont les chiffres qui nous sauveront.

Mais les idées nouvelles mettent du temps à percer. La réception par mes frères a été tiède, voire froide. Ces petits crétins, tout à leur instinct chéri, m'ont dit clairement d'aller me faire mettre dans une ferme si ça me tente tant que ça.

Me voilà donc, du mauvais côté de la 4 voies, me demandant si traverser en vaut vraiment la peine. La lapine en face est mignonne, c'est sûr. Les voitures passent à toute allure, et leurs roues menaçantes veulent faire de moi un tapis poilu. Car toutes les générations de lapins qui sont passées par là, partagées entre peur et désir, n'ont pas suffi pour que la sélection naturelle fasse