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Le temple du Nhadim

Jean Vermoise, "Le prisonnier du Nhadim : 6 ans dans l'enfer d'une secte". Collection Actualités Brûlantes, Editions du Tournebride, 225 pages. 1989. Extrait du chapitre 9 "Eclaircies".

A ce point de mon récit, le lecteur incrédule se demande certainement comment un être humain peut être à ce point absent de lui-même, vidé de sa substance comme un poulet sur un étal. Nous n'étions pas, après tout, retranchés dans une ferme isolée dans les montagnes. Nous étions dans la vie, au beau milieu du flux parisien. Nous avions pour la plupart un travail à plein temps et un entourage professionnel, sinon familial. Cela est difficile à comprendre, mais cette existence "réelle" n'était pour nous, Petits Soldats du Nhadim, qu'une épisode passager que la Terminologie appelait le Filament. Le Filament retenait les Petits Soldats dans le Bas Monde aussi longtemps que le Nhadim l'estimait nécessaire. Nos visions du Haut Monde étaient limitées aux soirées, samedis, dimanches et jours fériés passés dans le temple Nhadim de la rue Barthélémy. L'intelligence démoniaque des têtes pensantes du Nhadim était bien là : nous faire croire que le monde extérieur était un cauchemar éveillé, une préparation mentale obligatoire avant notre passage définitif dans le Haut Monde, tandis que les cérémonies nocturnes du Nhadim étaient un sublime avant-goût de la normalité. Pendant mes deux années passées à Paris, j'ai assisté à 312 Monhadim (séances de récitation de monââ), 245 Nenhadim (séances d'apprentissage par le feu de la Sirnhadim sacrée), 38 Anhadim (cérémonies de la Punition pour les Soldats désobéissants, Cf. chapitre 8) et 13 Ganhadim (cérémonies de l'Exclusion pour lesmalheureux ayant survécu à une Anhadim). J'ai également passé 23 week-ends à vendre des Bâtonnets d'Eveil sur les marchés de Seine-Saint-Denis. Et j'ai des monââ tatouées sur des endroits intimes de ma personne. Je me souviens d'un état d'exaltation quasi-permanent, dont je ne redescendais qu'une fois rendu à mon travail. Là, je pouvais m'abstraire dans les contraintes de la programmation en Cobol, comme on s'oublie pendant son sommeil, et je mettais en parenthèse la litanie des monâa et les cris des disciples pendant les Anhadim.

Je crois que j'aurais pu résister quelques années de plus. Les Grands Soldats savaient ménager les Petits, surtout ceux qui, comme moi, lui ramenaient une paye complète tous les mois, ainsi que des informations de première main sur les stratégies d'alliance du Vilsmaier Group, la multinationale de télécommunications où je travaillais à l'époque. Notez la fierté rétrospective de l'ancien disciple : je leur étais utile ! Cela me valait d'échapper aux Anhadim, malgré mes entorses à la Terminologie (comme de grignoter des cacahuètes pendant les Monhadim : dix heures non stop à réciter des monââ, ça creuse ; certains Soldats avaient disparu pour des crimes moins importants). Heureusement, il n'est de société parfaite qui ne sécrète son propre venin. Je ne m'étendrai pas sur la corruption des Grands Soldats, car le poison dont je vais vous parler maintenant était plus intérieur, plus diffus. Il s'infiltrait en de minuscules fissures dans la carapace épaissedu Nhadim, et l'une de ces craquelures, petite ligne brisée dans la Terminologie, s'appelait .

était un Petit Soldat de rang Denhadim, ce qui en faisait pratiquement un Grand Soldat (il ne lui manquait que deux des cinq confirmations nécessaires). En l'absence fréquente des Grands Soldats censés présider les cérémonies, assurait la relève. Chaque cérémonie commençait toujours par un sermon de deux heures que les disciples écoutaient tête baissée, ne levant les yeux au ciel que pour reprendre Nhadim, Nhadim en fin de phrase. Il me fallut un an pour m'apercevoir que les sermons de prenaient des libertés avec la Terminologie. Pourquoi autant de temps ? Tout simplement parce que la Terminologie complète n'étant connue que des Grands Soldats et des Denhadim, il nous était difficile de faire des comparaisons. On pouvait nous raconter n'importe quoi - ce qui était d'ailleurs le cas. Le Verbe était vérité, parce qu'il était Verbe. Quand nous décrivait la cosmogonie selon la Terminologie - les cinq planètes cachées du système solaire sur lesquelles tous les Soldats méritants du Nhadim iraient vivre après la Fin, nous lui répondions Nhadim, Nhadim. Quand il disait que la Fin allait arriver dans 1735 jours, nous lui répondions Nhadim, Nhadim. Quand nous disait que les Grands Soldats étaient tous, sans exception, des crétins finis,que vouliez-vous que nous lui répondions ? Nhadim, Nhadim. Pendant un an, nous enseigna à la fois les pauvres sornettes de la Terminologie et la vérité sur le Nhadim,celle dont tous les journaux parleraient bientôt. Et quel usage croyez-vous que nous faisions de ces révélations ? Rien, rien du tout ! Nhadim, Nhadim, chantait l'heureux troupeau. disparut quelques jours avant l'intrusion dans notre Temple des agents de la brigade financière. Ce n'était pas un policier infiltré, son statut de Dehnadim exigeant au moins dix ans d'ancienneté dans le Nhadim. Et aucun des enquêteurs que j'ai rencontré par la suite ne m'a jamais confirmé avoir été aidé par un informateur intérieur au Nhadim. Je n'ai qu'un hypothèse concernant : il se serait servi de la secte comme d'un laboratoire géant. Il aurait regardé croître le Nhadim comme certains élèvent des fourmis dans un terrarium, puis il aurait instillé le doute pour observer nos réactions. Croyez-moi, il a dû être déçu, notre ami !

Gilles Tran © 2001 www.oyonale.com