Son père, ce vieil homme rabougri à la tête démesurée, aux lunettes en demi-lune et aux doigts noueux, qui vivait en reclus dans les profondeurs de son atelier, antre souterrain que l'on disait bien plus grand et effrayant que la boutique du rez-de-chaussée, cette taupe qui émergeait une fois par jour, des toiles d'araignées accrochées aux pans huileux de son gilet, pour faire en public la leçon à son fils sur la meilleure façon de servir les clients, ou pour expliquer de sa voix aigrelette la mécanique tortueuse des appareils qu'il fabriquait, ou, tel un cachalot remontant des abysses, pour respirer de l'air frais, disons moins vicié, son père, selon toutes apparences, était mort. Selon toutes apparences, disais-je, car la preuve de son décès ne fut jamais apportée. On vit bien un jour qu'il n'était plus là, et qu'un cercueil entra dans la boutique, porté par des croquemorts à la peau obscure, pour en ressortir peu après, suivi du fils, l'air triste, mais pas plus à l'accoutumée, si bien que sans sa forme oblongue et ses poignées en argent, cette boîte en bois aurait pu être le simple emballage d'un engin mystérieux partant pour l'Amérique.
Vous pourriez penser que le fils était pareil au père, et nombreux étaient ceux, qui, passant devant la boutique, partageaient cette opinion. Certes, il avait hérité des traits, des habits crasseux, et des manières du vieil homme, brusques et onctueuses à la fois. Il ne semblait revivre qu'en montrant aux clients les machines de son père, comme si le bourdonnement des rouages et le chuintement des ressorts entraient chez lui en résonance, et la rumeur voulait qu'il ne fût rien d'autre qu'un automate de fabrication paternelle. Les enfants l'appelaient Tête de vidange derrière son dos, et laissaient parfois sur le seuil des bidons vides d'huile de moteur.
Mais il n'était ni son père ni un automate. Les habitués du magasin pouvaient en témoigner, ainsi que les habitants des quartiers mal famés, qui offraient au fils de quoi assouvir dans la discrétion des goûts pour la débauche d'un classicisme banal. Il n'était pas son père, et les choses changèrent.
L'article le plus prisé du magasin, le seul que le voisinage achetait avec constance, était une pomme artificielle, légèrement plus petite qu'une vraie. Une clé miniature, que l'on enfilait à la base du fruit, servait à remonter le mécanisme. En s'armant d'une paire de pinces à épiler, on pouvait ouvrir sur le devant une porte délicate, qui laissait entrevoir l'intérieur de la pomme, un entrelacs d'entrailles cuivrées, où l'on distinguait entre les engrenages, ressorts et marteaux, les yeux écarlates des rubis, comme autant de créatures furtives. Les gens laissaient souvent la porte entrouverte, et la machine pouvait fonctionner pendant des semaines, ronronnant doucement sur un manteau de cheminée ou une étagère à porcelaines. Il n'était pas inhabituel qu'une famille en eut plusieurs modèles, certains peints comme de vraies pommes, d'autres décorés de motifs étrangers ou de fantaisies populaires. De façon étonnante, l'utilité du mécanisme était inconnue. Aucun manuel n'était fourni, et personne n'avait jamais proposé de réponse plausible à cette question simple : à quoi servait-il ? Père et fils avaient résisté à toutes les demandes, à toutes les sommes d'argent. Démonter l'objet n'avait fait qu'enrichir le mystère, et ceux qui s'y étaient risqué n'avaient obtenu qu'une pile d'engrenages sans rime ni raison.
Quand le fils devint le seul propriétaire de la boutique, il