Les deux hommes regardaient le sol, où zigzaguait une petite fissure.

Le plus âgé des deux avait sur le crâne une masse enchevêtrée et graisseuse de cheveux jauneâtres. Ses vêtements étaient souillés. Il était pieds nus. Il puait à travers plusieurs couches de crasse humaine. Mais son allure générale était indiscutablement sérieuse. Il savait de quoi il parlait.

« Ç?est mauvais », dit-il.

« Mauvais comment ? », dit l'homme plus jeune, dont la coiffure commençait à se dégarnir, en dépit de sa raie au milieu. Il portait un costume soigné avec la cravate, les chaussures, l'attaché-case et l'eau de cologne assortis. Il avait l'air apeuré, bien qu'il n'y eût rien d'autre à voir que cette petite fissure, trop étroite pour un glisser un pied, assez large pour y mettre deux doigts.

« Mauvais comment quoi ? », répéta le gueux. « J'vais te l'dire, fiston. C'est mauvais comme quand ta mère couche avec un âne, même quand cet âne est ton père. Mauvais comme les brocolis. Mauvais comme les impôts. Mauvais comme la fin du monde. »

Le jeune homme détestait ce job où on pouvait l'appeler « fiston » et s'en tirer.

« C'est une blague , hein ?», dit-il.

Le gueux poussa un rire gras, épais comme un rot géant.

« Il se rappelle l'avion, le fiston, non ? »

« Un crash d'avion c'est pas la fin du monde », répliqua le jeune homme. Oh, il aurait pas dû dire ça. Il n'était pas là pour se mettre le vieux à dos. Quand le vieux avait parlé de l'avion, la dernière fois, la compagnie n'avait rien fait et perdu une montagne d'argent. Ils ne referaient pas la même erreur.

« C'était la fin du monde pour les passagers », dit le gueux. « Et cette petite fente, là, c'est ta fin à toi, fiston».

« Mais si... si on la bouche avec du béton », hasarda le blanc-bec, qui avait été entraîné à positiver en toutes circonstances.

Le gueux ricana. « Non, on arrête pas la fin du monde avec du béton, non. On l'arrête pas non plus avec la purée grise qu'est dans ta tête. On arrête pas la fin du monde, c'est tout. Alors t'inquiète pas, relaxe-toi et arrête de bouffer mon temps, qui se fait court par ailleurs ».

« Court comment ? », dit le jeune homme, qui commençait à se sentir concerné.

Le vieux s'accroupit, et mit deux doigts dans la fente ? ou était-ce trois ? « Quinze jours . Douze si t'es vraiment pressé de te faire avaler par une sorte d'abîme géant. »

« C'est mauvais, alors », confirma le jeune homme ».

« Il comprend vite, le fiston », dit le gueux. « Non, on fait pas mieux dans le genre mauvais. Si tu veux un dessin, en voilà un. Dans deux semaines, cette fente sera grande comme..., non, je veux pas te faire de peine et te parler de ta mère. Mais il y aura personne pour la visiter en hélico, car elle sera remplie à ras bord de créatures, du genre sauterelles grandes comme des chevaux de combat, avec sur leurs têtes on dirait des couronnes dorées et des visages comme des visages humains, et des cheveux comme des cheveux de femmes, et des dents comme des dents de lions, et elles sembleront être comme cuirassées de fer, et elles auront des queues comme celles des scorpions, armées de dards. Et puis il y en aura d'autres, des créatures, avec des yeux partout, pleines de têtes et de cornes, qui vomiront du feu, de la fumée et du soufre. Des créatures comme ça, mal élevées, bruyantes aussi, avec des trompettes. »

« Et moi j'aime pas la trompette, si seulement Armstrong était resté sur la lune », ajouta le vieux, avec un sourire sale.

« Vous n'avez pas l'air d'en faire un drame », dit le jeune homme.

« Hé, je suis que le messager. C'est toi qui bosse pour les assurances. Une fois les bestioles lâchées, ça va être l'enfer ici. Incendies, dégâts des eaux, effractions. Je t'ai pas dit pour le lac de feu ? Les étoiles qui tombent sur la terre ? La Bête Ecarlate ? Et toutes ces