La chasse se terminait toujours ainsi, avec Evi et moi nous disputant au sujet d'une bête morte. Pourquoi nous chassions ensemble est resté un mystère, car nous savions bien que le plaisir initial laisserait place inévitablement à de l'amertume. Deux à trois mois après notre dernière dispute, Evi m'appelait, ou je l'appelais, nous nous faisions des excuses mutuelles, simple prétexte pour remplir nos sacs et partir à l'aube pour un terrain de chasse au gibier abondant, dangereux, et surtout bavard. Bien des années plus tard, je réalise que c'est bien cette dernière caractéristique qui nous portait sur les nerfs. La chasse elle-même se déroulait bien. Nous adorions décoder les secrets de Dame Nature. Evi était un spécialiste des odeurs. Il reniflait une goutte de rosée sur une brindille et m'annonçait joyeusement qu'une femelle pleine avait uriné là, et qu'elle mettrait bas dans deux jours. Il ne nous restait plus qu'à chercher le nid, qui n'était jamais bien loin. Evi était tellement heureux, il se sentait utile, loin de sa famille récurée, désinfectée, désodorisée.
J'étais l'homme du son. J'avais l'oreille parfaite, un talent indispensable pour repérer des proies dont la seule activité apparente était d'imiter le bruissement des feuilles ou la murmure des champignons en croissance. Ce qui nous amène à la question du bavardage. Après des semaines passées à nous couvrir de boue, nous arrivions enfin à pointer nos armes sur notre victime, qui venait de commettre l'erreur fatale consistant à négliger les deux souches pourries apparues brutalement devant la porte du terrier. Et maintenant, les deux souches en question arboraient des rictus de victoire, un fusil à la main. Mais, après cette preuve ultime de bêtise animale, notre proie commençait à causer, à causer, à causer, un flot inextinguible de paroles. Mais pourquoi vous voulez me tuer, Qu'est-ce que je vous ai fait d'abord, Ma famille vous fera un procès, des choses comme ça. Nous savions bien que tout ce cirque n'était qu'un mécanisme atavique de survie, déclenché par la force brute de l'instinct animal, mais, pendant quelques instants, nous nous retenions d'appuyer sur la détente, trop longtemps à