Contrairement aux élucubrations de Buzatti, nous étions fin prêts quand, du haut de leurs miradors, les sentinelles aperçurent la poussière noire de la cavalerie Tartare. Peu de temps avant, nous avions rentré des milliers de cartouches, astiqué les canons, et tous les soldats avaient eu droit à une dernière permission chez Frau Jemma et ses Soeurs Accueillantes. Tous avaient déjà sur les lèvres la saveur âcre du combat, sauf cet imbécile de Drago, qui délirait dans l'infirmerie, ignorant tout du travail de nos espions, dont le pigeon hebdomadaire nous rapportait les intrigues du palais Tartare.
Nous savions que le Khan avait déjà renoncé par deux fois à attaquer à cause des intestins trop pâles d'une brebis sacrifiée. Nous savions aussi qu'il était passé outre l'avis d'une troisième brebis, et que cette rébellion impériale avait troublé plus d'un soldat. L'armée du Khan, étincelante et chamarrée, s'était mise en marche au son des fanfares, les cimeterres saluant le ciel. Mais ils partaient perdant, la queue entre les jambes, dans la crainte de voir le sol s'entrouvrir. Nous n'allions pas les décevoir. Alors que le capitaine Drago agonisait de sa maladie de pucelle,